François CHENG, Le Dialogue, une passion pour la langue française
(Desclée de Brouwer, 2002)
« Rétrospectivement, aujourd’hui, je puis affirmer que si abandonner sa langue d’origine est toujours un sacrifice, adopter avec passion une autre langue apporte des récompenses. Mainte fois, j’ai éprouvé cette ivresse de re-nommer les choses à neuf, comme au matin du monde.
* * *
* * *
… ce travail de mémoire, je l’ai effectué en français, qui était devenu ma langue quotidienne et qui ne m’avait jamais fait défaut en mes éveils comme en mes rêves. Cette langue, loin de faire écran, m’a créé les conditions d’une prise globale, d’une distanciation, m’évitant le danger de clichés et de références toutes faites. Cette langue dite d’emprunt m’est devenue en réalité une méta-langue ; elle me procure un regard en quelque sorte "transcendantal", par lequel les souffrances, les absurdités, les drames singuliers ou collectifs tirés de l’abîme sont révélés, éclairés, reliés implicitement à des lois plus générales, et par là prennent sens.
* * *
En m’invertissant totalement dans le français, je me voyais obligé de m’arracher à ce qui faisait mon passé et d’effectuer le plus grand écart que constitue le passage d’une écriture idéographique de type isolant à une écriture phonétique de type réflexif. Cet arrachement et cet écart, ne m’ayant pas fait me perdre en chemin, m’auront permis de me ré-enraciner, non seulement dans ma terre d’accueil, ce qui est déjà beaucoup pour un exilé, mais proprement dans l’être, puisque, par cette nouvelle langue, j’ai accompli l’acte, je le répète, de nommer à neuf les choses, y compris mon propre vécu.
* * *
* * *
Habité à présent par l’autre langue, sans que cesse en lui le dialogue interne, l’homme aux eaux souterrainement mêlées vit l’état privilégié d’être constamment soi et autre que soi, ou alors en avant de soi. A la rencontre des choses, il éprouve la sensation de jouir d’une approche "stéréophonique" ou "stéréoscopique"; sa perspective ne saurait être que multidimensionnelle. »
(Lectures proposées par Xiaomin Giafferri)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire