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lundi 26 juillet 2010

Autoportrait (2)

« Je suis redevenu à nouveau bilingue, et depuis je n'ai pas cessé de l'être. »
Jorge Semprún (2010)


« Je pourrais très bien dire que je suis français et aussi espagnol. Si l'on me pose une question sur l'identité nationale, je répondrais que je n'ai pas d'identité fixe et que c'est très flou pour moi. En arrivant en France en 1939, à la fin de la guerre civile, avec ma famille, je connaissais à peine le français. Des aînés m'ont orienté dans mes lectures et j'ai découvert la beauté du français à seize ans avec André Gide, André Malraux, Louis Guilloux, Jean Giraudoux, des écrivains très différents.

J'ai cru à un moment donné que je retrouvais une nouvelle patrie et que je pouvais dire, en reprenant la formule d'un Thomas Mann : " Ma patrie, c'est la langue française." Finalement, cela n'a pas été aussi simple que ça. Curieusement, lorsque j'ai été déporté à Buchenwald, j'ai retrouvé ma langue maternelle que j'avais un peu perdue de vue puisque j'étais devenu un jeune hypokhâgneux. Il y avait là-bas une petite communauté d'Espagnols républicains qui avaient été arrêtés dans la Résistance française. Plus tard, comme ils n'étaient pas français, ils ont été considérés comme prisonniers politiques et envoyés en Autriche dans un camp très dur. Entre eux, ils parlaient espagnol et catalan. Comme il fallait trouver des distractions et que je connaissais par coeur des dizaines de poèmes espagnols, j'ai aidé à organiser des soirées de récitation et de tableaux dramatiques plus ou moins inspirés de telle ou telle scène du poète Lorca. J'ai alors repris goût à cette langue et à sa pratique même.

Je suis redevenu à nouveau bilingue, et depuis je n'ai pas cessé de l'être. Quand on me demandait mon identité, j'utilisais cette formule qui résume bien la situation : je ne suis ni espagnol, ni français, ni écrivain, je suis un ancien déporté de Buchenwald. » (Extrait de l'entretien « Jorge Semprún et l'écriture de l'Histoire », par Marc Riglet, L'EXPRESS, le 14/05/2010)


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