« Quand j'ai commencé à écrire, ça faisait déjà un certain nombre d'années que je vivais en France et donc je pensais déjà en français et j'écrivais déjà en français, bien que j'aie été formée dans ma première langue, avec le vietnamien. Et ça a été assez naturel, parce que ce sont des choses que j'ai portées en moi pendant très longtemps, de façon très présente, et c'est sorti comme on dévide une bobine. C'est comme si vous prenez le premier fil, vous tirez et tout le reste suit. C'est pour ça que le récit est linéaire. Il suit la chronologie. Maintenant, combien de temps cela m'a pris, sept ans.
(...) quand je suis venue en France, je parlais un français qui était le français que j'avais appris dans les livres. En fait, je parlais un français écrit, puisque à la maison on parlait vietnamien. Je continuais en France de parler comme j'écrivais, comme on écrivait dans les livres et je me souviens très bien, mes amis français de la Sorbonne à cette époque disaient : 'Mais tu parles comme un livre.' Et c'est à partir du moment où vous commencez à parler un langage moins châtié avec plus de fautes, que cela prouve que vous êtes intégré. C'est un peu humoristique mais c'est vrai.
(...) Pour moi, c'est-à-dire chez moi, dans ma personnalité, et bien, vous savez, [l'identité vietnamienne] c'est la grande moitié de moi-même. Quand je dis grande, c'est pas dans le temps, parce que j'ai passé plus de temps en France qu'au Viêt-nam, à vrai dire, mais comme les premiers temps de la formation d'un être humain sont capitaux, disons que ce sont les fondations de la personnalité, la partie vietnamienne. Ensuite, au-dessus de cette fondation-là, il s'est construit quelque chose qui est très solide aussi, qui est extrêmement important, c'est la partie française, et dans cette partie française, il y a quelque chose qui est fondamental, c'est la langue. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, je sais écrire en vietnamien, mais je ne peux pas écrire de la littérature en vietnamien, alors que j'écris en français quand il s'agit de littérature. Évidemment je sais écrire une lettre en vietnamien, pour l'envoyer à ma famille, mais pour atteindre le niveau littéraire, je ne suis plus capable. Donc aujourd'hui, je n'ai qu'une langue, vraiment, c'est le français. Alors, vous voyez, la fondation de la personnalité est vietnamienne, mais l'outil d'expression c'est le français.
(...) Je n'ai pas besoin que la société vietnamienne me reconnaisse ni que la société française me reconnaisse. Écrire en français, c'est être français. »
(Extraits de l'entretien avec Kim Lefèvre, propos recueillis par Nathalie Nguyen, Intersections: Gender, History and Culture in the Asian Context, no. 5, Mai 2001. Source: http://intersections.anu.edu.au/issue5/nguyen_interview.html)
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