« Moi, je m’en souviens. L’usine, les courses, l’enfant, les repas.
Et la langue inconnue. À l’usine, il est difficile de se parler. Les machines font trop de bruit. On ne peut parler qu’aux toilettes, en fumant une cigarette en vitesse.
Mes amies ouvrières m’apprennent l’essentiel. Elles disent : "Il fait beau", en me montrant le paysage du Val-de-Ruz. Elles me touchent pour m’apprendre d’autres mots : cheveux, bras, mains, bouche, nez.
Le soir, je rentre avec l’enfant. Ma petite fille me regarde avec des yeux écarquillés quand je lui parle en hongrois. Une fois, elle s’est mise à pleurer parce que je ne comprends pas, une autre fois, parce qu’elle ne me comprend pas.
Cinq ans après être arrivée en Suisse, je parle le français, mais je ne le lis pas. Je suis redevenue une analphabète. Moi, qui savais lire à l’âge de quatre ans.
Je connais les mots. Quand je les lis, je ne les reconnais pas. Les lettres ne correspondent à rien. Le hongrois est une langue phonétique, le français, c’est tout le contraire. (...)
Je sais que je n’écrirai jamais le français comme l’écrivent les écrivains français de naissance, mais je l’écrirai comme je le peux, du mieux que je le peux.
Cette langue, je ne l’ai pas choisie. Elle m’a été imposée par le sort, par le hasard, par les circonstances.
Écrire en français, j’y suis obligée. C’est un défi. Le défi d’une analphabète. » (Agota Kristof, L’Analphabète, éditions Zoé, Genève, 2004)
Et la langue inconnue. À l’usine, il est difficile de se parler. Les machines font trop de bruit. On ne peut parler qu’aux toilettes, en fumant une cigarette en vitesse.
Mes amies ouvrières m’apprennent l’essentiel. Elles disent : "Il fait beau", en me montrant le paysage du Val-de-Ruz. Elles me touchent pour m’apprendre d’autres mots : cheveux, bras, mains, bouche, nez.
Le soir, je rentre avec l’enfant. Ma petite fille me regarde avec des yeux écarquillés quand je lui parle en hongrois. Une fois, elle s’est mise à pleurer parce que je ne comprends pas, une autre fois, parce qu’elle ne me comprend pas.
Cinq ans après être arrivée en Suisse, je parle le français, mais je ne le lis pas. Je suis redevenue une analphabète. Moi, qui savais lire à l’âge de quatre ans.
Je connais les mots. Quand je les lis, je ne les reconnais pas. Les lettres ne correspondent à rien. Le hongrois est une langue phonétique, le français, c’est tout le contraire. (...)
Je sais que je n’écrirai jamais le français comme l’écrivent les écrivains français de naissance, mais je l’écrirai comme je le peux, du mieux que je le peux.
Cette langue, je ne l’ai pas choisie. Elle m’a été imposée par le sort, par le hasard, par les circonstances.
Écrire en français, j’y suis obligée. C’est un défi. Le défi d’une analphabète. » (Agota Kristof, L’Analphabète, éditions Zoé, Genève, 2004)
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